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Requins à La Réunion

-une tragédie moderne-

Les activités aquatiques à l'île de la Réunion

Un groupe unss Surf Trois Bassins, 2011

 

(Article paru dans la revue du "SNALC Réunion" n°55, p.16, rentrée 2016-2017 distribuée à tout les personnels de l'éducation nationale en poste à la Réunion, 12 000 ex)

Une étude menée en 1993[1] sur 300 collégiens du Guillaume à Saint Paul, situé à une quinzaine de kms des côtes, indiquait que 92% des enfants de 11-13 ans ne savaient pas nager à cette époque. Les retards de notre île en matière d’équipement sportif, et notamment le faible nombre de piscines, ne favorisaient pas le développement de cette activité.

 Face à ce constat, qui constitue un des paradoxes de notre territoire insulaire, l’apprentissage de la natation est devenu un enjeu académique, conforté par l’inscription du « savoir nager » depuis 2011 dans le socle commun de connaissances et de compétences.

 En 20 ans, beaucoup d’efforts ont été faits tant sur le plan de l’équipement que sur celui de l’enseignement, et même s’il reste encore des zones d’ombres, la majorité des nouvelles générations sait maintenant nager à l’île de la Réunion.

 Les activités de plein océan sont porteuses de modernité culturelle dans le champ des activités sportives. Les principes d’une école ouverte sur la société ont incité pendant les années 2000 à proposer et à donner le goût de pratiques nautiques telles que le surf aux élèves[2].

Elève de 6ème, UNSS Surf, Trois bassins 2011

 

Nous étions les témoins d’une évolution culturelle : la mer n’était plus un environnement redouté, mais un lieu de plaisir, d’épanouissement, au service d’un développement et d’une valorisation de notre territoire côtier singulier[3]. Hélas, les requins semblent avoir été plus prompts, et l’océan fermé depuis le 26 juillet 2013 a replongé la société créole dans le passé.

 L’impact de cette crise hautement taboue n’aura pas épargné le système éducatif, les élèves, les enseignants, et l’enseignement lui-même[4]. Le simple fait de revendiquer l’accès à une petite partie de notre rivage est perçu comme une hérésie symbolisant les excès d’une humanité, cherchant à détruire la nature pour un « plaisir » superflu.

 Si le rôle de l’éducation nationale n’est pas a priori d’intervenir dans un tel débat, il n’en demeure pas moins que les considérations écologistes ne facilitent pas toujours un jugement raisonné chez les enfants[5]. Les représentations autour de poncifs tels que « l’océan n’est pas notre milieu »,  ou encore « on ne peut pas exterminer une espèce pour un loisir» priment très largement au-dessus d’une approche cohérente et des principes du développement durable, susceptible de laisser pourtant une petite place à l’humain dans la nature. Et cela, alors même que les nouveaux programmes scolaires de l’E.M.C. de juin 2015 ont entériné les notions de « bien commun » ou encore « d’intérêt général », ce qui devrait inciter le discours à tendre vers une plus grande sensibilité vis-à-vis de l’injustice que constitue la fermeture de l’océan.

Le conseil d’État en aout 2013 avait d’ailleurs rappelé que les attaques de requins -et la privation de l’accès à la mer qui en découle- dans le cadre d’une « activité ordinaire de baignade proche du rivage, constitue une atteinte grave au droit au respect de la vie, qui est une liberté fondamentale ». D’autres, non sans une mauvaise foi consciente ou pas, avaient fini par nous renvoyer en piscine ou dans notre modeste lagon[6].

Fort heureusement, les engagements citoyens ont permis de faire déjà aboutir à la sécurisation de deux plages populaires. Cette véritable renaissance nautique, que traduit l’afflux en ces lieux de dizaines de milliers de personnes depuis plusieurs mois, a permis de faire l’unanimité. OUI, le Réunionnais est attaché au plein océan, à toutes ces sensations que procurent les vagues et la nage dans un « espace profond non standardisé »[7] !

 Il n’y a plus qu’à espérer maintenant que le consensus perdurera à tout jamais, et puisse conduire à une réconciliation de notre île avec l’Océan, sans perdre de vue que cela prendra du temps, et passera forcement par l’Éducation.

 

Jean François Nativel (texte écrit le 6 aout 2016)

Enseignant Education Physique et Sportive, St Paul île de la Réunion.

Auteur de "Requins à la Réunion, une tragédie moderne".

 (lire aussi à ce sujet Racisme ordinaire et milieu scolaire... et ailleurs )

 

Extrait revue du "SNALC Réunion" n°55, p.16, rentrée 2016-2017



[1]) Citée par Y. CHATEAUREYNAUD et A. LAPIERRE dans « Aspects du sports à la réunion », 1996, page 66, note 32.

[2]) Notre île constitue un lieu idéal pour l’apprentissage pratique et du surf. Les plus grands champions français ont été formés ici : Amaury Laverhne en bodyboard, Jéremy Florès en surf masculin et Johanne Defay en féminine. Dans le préambule au programme UNSS académique pour la période 2009-2012, le recteur de la Réunion indique que ce sont les activités de pleine nature qui symbolisent le sport scolaire à la Réunion. Ce même programme indique que « Le district Ouest, partagé entre des établissements placés dans la zone côtière et d’autres dans les parties «hautes » de l’Ile, propose en plus des activités traditionnelles des formules prenant davantage en compte la proximité de la mer et des plages présentes dans ce secteur. »

[3]) La Réunion est une île jeune dont la caractéristique est d’être balayée par les vents et par la houle une majeure partie de l’année.

[4]) Ces différentes mesures d’interdiction ont eu une incidence sur les enseignants devenus plus frileux vis-à-vis des pratiques nautiques, même de simple baignade dans le lagon.

[5]) Voir ici le témoignage spontané d’une élève de 12 ans humiliée en cours d’histoire-géo suite à la mort du jeune Elio http://www.lequotidien.re/opinion/le-courrier-des-lecteurs/302012-les-requins-ecole.html

[6]) Notre lagon qui n’est qu’une dépression d’arrière récif, jonché de débris saillants, impraticable à marée, basse constitue-t-il la finalité de l’apprentissage de la natation ? Sans parler de la surcharge lagonnaire aux conséquences néfastes pour cet écosystème fragile. Du fait de cette crise, même les activités d’apprentissage de la voile s’y sont trouvées rapatriées depuis 2013 !

[7]) Bien au delà de la populaire baignade à l’abri de la barrière de corail dans le cadre des traditionnels pique-niques familiaux, on constate une véritable tendance s’inscrivant à l’encontre de la caricature d’un réunionnais vivant « dos tourné le dos à la mer ». Celle-ci a été confortée par une étude récente qui démontre que parmi l’ensemble des Réunionnais de 15 ans et plus interrogés, 80% fréquentent les plages ouvertes et 50% pratiquent au moins une activité (essentiellement de la nage en surface), d’après « Analyse de la crise requin à la Réunion. Enquête quantitative auprès de la population réunionnaise », IPSOS Réunion, mai 2014. http://www.info­requin.re/IMG/pdf/Ipsos_­_Rapport_Crise_Requin_.pdf

Championnat de la Réunion UNSS collège, mai 2011

 
 
 L'auteur Jean François Nativel encadrant l'UNSS surf, 2011.