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Requins à La Réunion

-une tragédie moderne-

Désobéissance civile ! Nou't tout dan la mer

Article paru en décembre 2017 dans le mensuel économique MEMENTO de l'île de la Réunion

Ecrit par Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. et les étudiants du Master 2 droit des affaires Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

 

 

 "Le droit occupe une place prépondérante dans les relations économiques. Jean-Baptiste Seube, Professeur agrégé des facultés de droit et avocat au barreau de Saint-Denis, et les étudiants du Master droit des affaires qu’il dirige, attirent l’attention des entrepreneurs sur certaines difficultés juridiques, à travers l’évocation de décisions de justice ou de lois récentes.

 Le 10 septembre 2017, répondant à un appel à la désobéissance civile lancé par l’association OPR, des centaines de personnes se sont baignées sur la plage des Roches Noires, en signe de protestation contre l’interdiction préfectorale d’accès à la mer.

 Si l’expression de « désobéissance civile » inquiète les pouvoirs établis et les esprits conservateurs, elle intrigue le juriste. Puisant son origine dans le titre posthume d’un ouvrage de Henry D. Thoreau paru aux Etats Unis en 1866, la « désobéissance civile » a été définie par John Rawls, dans sa célèbre Théorie de la justice, comme « un acte public non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement » (Théorie de la justice, trad. Audard, Le Seuil, 1987, p. 405).

 Le but de la désobéissance civile est donc d’aboutir à la modification du droit préexistant : là où le délinquant, l’insoumis ou l’objecteur de conscience ne prétendent nullement dépasser leur propre cas particulier, le « désobéissant » se considère comme une force créatrice du droit. Dénonçant l’injustice du droit actuel et défiant les autorités de le mettre en œuvre, il milite pour l’émergence d’un droit qu’il considère comme plus juste. Loin d’être alors le trublion de la démocratie, la « désobéissance civile » pourrait en être l’aiguillon.

 On ne saurait dès lors balayer d’un revers de la main, et pour la seule raison qu’ils seraient contraires à la loi, les arguments avancés par les « désobéissants » ; ces arguments sont peut-être le droit de demain… Illégal en 2004, le mariage homosexuel célébré par le maire de Bègles (qui lui valut une suspension d’un mois de ses fonctions) est ainsi devenu légal depuis la promulgation de la loi sur le mariage pour tous (plus largement, D. Lochak, Désobéir à la loi, in Pouvoir et liberté, Mélanges J. Mourgeon, Bruylant, 1998 ; P.-A. Perrouty (dir.), Obéir et désobéir, le citoyen face à la loi, éd. Université Bruxelles, 2000).

 En l’espèce, sans se focaliser sur le fait qu’ils se manifestent par des violations assumées et conscientes de la loi, les arguments avancés par les « désobéissants » du 10 septembre 2017 doivent être écoutés et pris en considération par le juriste. A défaut d’en être toujours convaincu, il trouvera au moins matière à s’interroger : l’accès à l’océan serait-il interdit de la même façon et depuis si longtemps si des attaques de requins étaient survenues entre Biarritz et Anglet ? pourquoi le risque de ciguatera justifie-t-il l’interdiction de commercialisation de la chair de requin, mais pas celle des autres pélagiques ? pourquoi l’étude d’impact préalable à l’installation de la réserve est-elle si discrète sur le risque requin ?...

 Ces questions restées sans réponse, ajoutées à l’inaction des pouvoirs publics pour qui l’interdiction définitive de l’accès à l’océan semble être l’alpha et l’oméga, conduisent à l’exaspération d’une partie des Réunionnais… Si le droit est l’art de permettre la vie en société, cette exaspération doit être entendue."