
"Je finissais par me dire en regardant les gens sur la plage : est ce que je vais voir un jour son corps mutilé devant moi ? Est ce que je devrais parler à ce père ? A cette sœur ? Est ce que je dois aller dans les écoles de surf leur expliquer ce que je sais, au risque d'étouffer la moindre envie de se remettre à l'eau ? Et si j'avais parlé de ça aux enfants du pôle espoir alors qu'on me l'avait interdit, est ce qu'Elio serait toujours là ? On ne peut pas empêcher les gens de faire leurs propres choix. Mais Moi en tant que (...) on me demande ... de la fermer. J'attends le jour où tout se saura."

Eclairage :
pour compléter notre propos, 2 extraits du livre « Requins à la Réunion, une tragédie moderne dans le cadre d’un passage qui traite de la construction initiale du mythe de la morsure exploratoire dans l’opinion, et de ses conséquences en termes d’absence de politique préventive :
Extrait page 215 :
« Cet incident me poussa à me plonger à nouveau dans les documents disponibles, et je découvris un nouvel élément. L’étude sociologique de référenceA avait dès 2011 parfaitement identifié le rôle central de l’association fondée par ce médecin au point d’y consacrer un paragraphe : « Après chaque accident, les médias relayaient habituellement la voix des « experts » : deux associatifs (Association Squal’idées) étaient ainsi régulièrement mis à contribution pour tenter d’expliquer les circonstances du drame. Invariablement, ils rappelaient les facteurs de risque et contribuaient à faire perdurer ce consensus sur la prise de risque excessive [...] Cette attribution causale a un double intérêt : d’abord, elle permet d’éviter « une psychose requin », ensuite, tant que la sécurité du pratiquant semble relever exclusivement de son initiative personnelle, il n’y a aucune raison de mener une politique publique de prévention du risque. » Cette étude du rôle initial de chacun des acteurs venait confirmer mon sentiment : tant que survivrait l’idée d’une « prise de risque excessive » associée à un « déni du risque réel », la crise resterait réduite à une simple « psychose » ».
Extrait page 217:
« Arrêtons nous sur une incohérence de ce conseiller des autorités qui donnait la mesure des contradictions. Dans une publication datant de 2000, il avait reconnu qu' à l’île de la Réunion nous étions potentiellement face à des morsures alimentaires : « dans nombre de cas d’attaques, le requin ne s’est pas contenté de goûter la victime (10 cas sur 22 pour la série réunionnaise après1980). Il paraît aussi que ce poisson puisse parfois attaquer l’étrange chose qu’est l’humain en parfaite connaissance de cause tout simplement parce que celui-ci peut constituer comme tout autre animal une source éventuelle de nourriture. » A l’inverse, comme nous l'avons déjà mentionné, dans une interview donnée après la toute première attaque de février 2011, il indiqua : « c’est une confusion on voit bien que quand un requin à mordu une fois il voit qu’il s’est trompé et ne réattaque plus. Le scénario où le requin attaque, tourne autour de la personne pour attaquer de nouveau, comme dans les Dents de la Mer, ne se voit jamais [...] il ne s’acharne pas. Nous ne faisons pas partie de son menu habituel. » Quelle pouvait être la motivation d’une telle volte-face ? Faisant office de médecin légiste depuis le début des années 1990, il ne pouvait pas ignorer la multiplicité et la gravité des blessures, se soldant la plupart du temps par de multiples arrachements corporels qui caractérisaient cette nouvelle série d’accidents débutés en 2011.
L’étude sociologique livrée en 2015 apportera un éclairage à ce niveau en donnant du sens à ces multiples interventions visant à ancrer la croyance autour d’une « confusion alimentaire » : « Dire que l’attaque correspond à une confusion de la part du requin met de la cohérence dans la tragédie, le schème d’attribution causal permet de constituer un ensemble de règles à suivre pour éviter ces « erreursB » »
A) : « Le risque requin, mise en risque de la pratique du surf à la réunion », Marie Thianbo Morel, revue STAPS n°99, « De l’incertitude à l’incertain », mars 2013.
B) : Étude « Approche sociale de la crise requin ». Direction de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement de La Réunion (DEAL), Arnold Jaccoub. Octobre 2014. Lien : http://www.info requin.re/IMG/pdf/Etude_socio_RAPPORT_DEAL__Approche_sociale_de_la_crise_requin_.pdf