Extrait du livre "Requins à la Réunion une tragédie moderne", novembre 2015, pages 219, 220, 221, publié en octobre 2015 sur le site OPR.re, inactif car obsolète depuis 2020)
Le milieu de l’année 2014 a été marqué par la visite dans notre île de Nicolas Hulot, ambassadeur écologique mandaté par le président de la République, en charge de la lutte contre le réchauffement climatique. Sa visite s’inscrivait dans le cadre d’une conférence climat organisée dans notre île fin juin 2014. La région Réunion, membre du « climate group » et du R20, souhaitait faire de notre île un moteur de la lutte contre le réchauffement climatique pour la zone Océan Indien326. Dans le cadre de la politique maritime du gouvernement français, Nicolas Hulot était impliqué dans le développement des aires protégées, dont le « sanctuaire requin » de Nouvelle-Calédonie à travers le consortium Oceania 21327.
Mais quels pouvaient être les liens entre réchauffement climatique et les attaques de requins ? Ils se situent à deux niveaux.
Le premier consiste en une croyance répandue selon laquelle le réchauffement climatique serait à l’origine de l’augmentation des attaques328.
Le second confère à la préservation des requins un rôle significatif dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le requin en tant que prédateur était devenu un des « maillons » du marché carbone. Une toute dernière étude du magazine scientifique Nature, parue en sep- tembre 2015329 venait d’attribuer aux prédateurs un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique... parce qu’ils mangeraient des herbivores330 compliquant d’autant toute idée de régulation de ces espèces.
Une autre étude récente, réalisée par un institut océanographique australien (Australia Institute Of Marine Science, AIMS) parue en septembre 2013 dans la revue scientifique renommée Plus One, vous expliquera que la préservation des populations de requins permet, toujours par un jeu subtil de réactions en chaîne, de préserver les coraux331 dont le développement et la bonne santé sont présentés en tant que rempart naturel à la montée des eaux, en plus d’être également susceptibles d’absorber le carbone.
Les requins étaient devenus une sorte « d’animal-marabout » qui se voyait conférer toutes sortes de vertus, et pas des moindres !
Ainsi, les conservateurs avaient réussi à faire glisser l’alarmisme autour de la montée des eaux à la nécessité de protéger les océans au cours de la dernière décennie. Les îles, premières exposées à ces risques, possèdent par ailleurs d’immenses territoires maritimes convoités plus que jamais. Il n’y eut qu’un pas à franchir pour placer la protection de larges zones océaniques en tant que « solution » à la lutte contre la montée des eaux332.
Le requin étant le nouvel emblème de l’équilibre des océans, sa protection était devenue un véritable fer de lance dans l’accepta- tion des mesures de sanctuarisation et avait conduit ces 10 dernières années à une multiplication des « sanctuaires requins333 ».
Tout cela s’inscrivait dans une tendance globale déjà décrite par un éminent géographe français, et qui avait déjà critiqué « l’instrumentalisation des Petits États Insulaires par une coalition hétéroclite d’experts, d’activistes, de journalistes, de célébrités ou d’hommes poli tiques. Le spectre de la montée du niveau de la mer et de la possible disparition de ces îles, avec son lot de « réfugiés climatiques», devient une véritable rente pour des États insulaires se posant en victime du développement dans le dessein d’obtenir des compensations334. » En échange de ces compensations financières, la privatisation de ces dizaines de millions de kilomètres carrés d’océans permettait de constituer un réservoir de ressources halieutiques, minières335, énergétiques, tout en maîtrisant des voies de navigations stratégiques336.
Cette mouvance qui partait du Pacifique, via la Nouvelle-Ca- lédonie et Océania 21 avait commencé à nous intéresser dans le cadre du congrès international sur les aires marines protégées qui s’était déroulé à Ajaccio le 26 octobre 2013. Des photos de cet événement nous avaient interpellé337. En continuant mes recherches, j’avais constaté que Nicolas Hulot semblait s'être beaucoup impliqué dans la création de cette réserve calédonienne aux côtés des personnalités politiques autonomistes.338. Une colla- boratrice présente sur cet archipel nous avait fait part d’une inquiétude naissante face à ce genre d’alliance339. Ce qui gênait le plus dans cette politique, c’était qu’elle avait abouti à des lois de protection totale des requins, même les plus dangereux, alors que cet archipel avait connu trois attaques en 2013 avec une population de requins bouledogues en plein essor340. Quand on voyait les immenses difficultés que nous avions avec des requins non protégés à la Réunion, comment allaient faire les Néo-Calédoniens pour gérer une telle problématique si elle s’installait là-bas avec des espèces désormais intouchables ?
325) Titre d’un long article publié dans le magazine géo voyage n° 17 du mois de janvier 2014, N° spécial île de la Réunion. Le scénario du film « Les Dents de la Mer » était considéré comme le principal responsable de la très mauvaise image des squales, comme en témoignaient les références systématiques des avocats des requins à propos de l’impact négatif de ce film.
326) N° du Journal de l’île de la Réunion du 25 juin 2014, article intitulé « La Région veut devenir leader du combat climatique. » (Voir note 145)
327) http://www.la1ere.fr/2013/06/26/nicolashulotavocatdoceania2144203.html. Cette entité constituait une coalition de 21 îles du Pacifique ouest engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique, dont la principale action consistait à transformer l’ensemble de leurs eaux territoriales en réserves marines.
328) On trouve toutes sortes de théories des plus farfelues aux plus contradictoires pour expliquer les attaques de requins. Article d’un site franco-russe Sputnik France du 18 aout 2011 « Attaques de requins en hausse: enjeu du changement climatique ? » citant Konstantin Zgourovski, du WWF Russie « Il est fort probable que les attaques des requins anthropophages dans les endroits où l'on ne les rencontrait pas auparavant est lié au changement climatique, plus précisément à la migration de leurs proies habituelles vers le nord. » (Et pour toutes les attaques dans les pays du Sud ?) Lien http://fr.sputniknews.com/sci_tech/20110818/190544704.html#ixzz3pkYBsHkh
329) « Croyezle ou non, les requins contribuent à lutter contre le changement climatique [...] les herbiers, les marais salants, les mangroves sont parmi les puits de carbone les plus puissants dans le monde [...] ils vont capturer et stocker le carbone à un taux 40 fois plus vite que les forêts tropicales comme l'Amazonie et ils vont stocker le carbone dans le sol pour des millénaires » affirmait le Dr Peter Macreadie de l'Université de Deakin, Australie. Source : http://www.abc.net.au/news/2015-09- 29/sharks-and-other-predators-help-prevent-climate-change/6813042 Il est coauteur de cette étude publiée dans la revue Nature for climate change « Predators help protect carbon stocks in blue carbon ecosystems » 28 septembre 2015. Trisha B. Atwood & all. Lien : http://www.nature.com/nclimate/journal/vaop/ncurrent/full/nclimate2763.html
330) Ces théories ont été développées au sujet de la zone de « shark bay » en Floride par Mike Eithaus en 2013, le Floridien invité dans notre île en mai 2013 et que l’on retrouve en tant que coauteur de l’étude de Nature de septembre 2015. http://news.fiu.edu/2013/06/fearofsharkshelpspreservebalanceintheworldsoceans/63078 et http://www.news.uwa.edu.au/201108223834/businessandindustry/sharkbayseagrasspotentially 8billioncarbonsink
331) Lien : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/09/24/pourquoilasurpechedesrequins menacelescoraux_3483594_3244.html. L’AIMS a produit également une célèbre étude (elle aussi financée par PEW) visant à prouver l’intérêt de la conservation sur la pêche à partir des bénéfices du tourisme lié à la plongée, et qui indique que « un requin vivant vaut plus qu’un requin mort » visant à « inciter davantage de pays à s'intéresser à ces animaux pour leur contribution aux océans et au bienêtre financier d'un pays ». Source : http://www.lepoint.fr/science/mieuxvautunrequinvifque mort020520111326035_25.php Et idem au Fidji http://www.pewenvironment.org/news room/reports/thesocioeconomicvalueofthesharkdivingindustryinfiji85899381760
332) Toutes les subtilités autour de la financiarisation des océans et les mécanismes de compensations carbone via les ONGE sont décortiqués dans cet article http://www.lencrede mer.fr/20150804carbonevertcarbonebleucarbonepoissonnouveleldoradodelafinance/. L a valeur des océans à été évaluée à 24 000 milliards de €. Lien : http://www.challenges.fr/energieet environnement/20150423.CHA5234/lesoceansdumondevaudraient24000milliardsdedollars selonwwf.html
333) Ces sanctuaires requins sont au nombre de 13 en 2014. Voir la liste dans ce lien : http://wiki.bluelobby.eu/analyses/sharksanct. Celui de Palau crée en 2009 est le plus célèbre mais aussi celui qui met en exergue les logiques sous-jacentes. En 2008, un rapport indépendant a montré que la partie nord des eaux de l’Archipel détiendrait un champ pétrolier géant de classe mondiale. Source : http://pidp.eastwestcenter.org/pireport/2012/December/122820.htm Ce rapport estime les réserves dans la zone la moins profonde à 1,044 milliard de barils de pétrole en place (dont 35% récupérables). Dans la zone plus profonde, ce serait 1.880 milliards de barils (dont 35% récupérables). Et un gisement de plus 8 milliards de m3 de gaz a été repéré dans la couche calcaire peu profonde. En 2012, les prospections n’avaient encore rien donné, et les autorités ont renouvelé, moyennant finances, les autorisations de prospection de Palau Pacific Energy Inc (PPEI), basé au Texas. Les licences d’exploitation ont été attribuées et les forages déjà planifiés (http://pidp.eastwestcenter.org/pireport/2014/February/022604.htm et http://pidp.eastwestcenter.org/pireport/2014/August/081505.htm)
334) Jean-Christophe Gay géographe français, 2009 : « Réchauffement climatique l’instrumentalisation des îles. » Lien : http://www.mgm.fr/ARECLUS/page_auteurs/Gay77.pdf. Il apparaissait illusoire que ces îles minuscules, premières exposées aux risques liés à la montée des eaux, puissent contribuer à enrayer ce phénomène. La pollution massive industrielle résultant d'une surconsommation d'énergies fossiles, est considérée comme à l’origine du réchauffement climatique. Elle reste l’apanage des grandes nations du « nord », toujours aussi loin d’être prêtes à réduire leurs émissions, mais exigeant des efforts de conservation des « pays du sud », seule issue, selon eux, pour absorber le carbone.
335) On constate à chaque fois une « écologie à deux vitesses » s’agissant des océans avec d’un côté une exclusion des pêcheurs traditionnels, et de l’autre l’autorisation de l’exploitation des fonds