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Requins à La Réunion

-une tragédie moderne-

L'écologisme est une perversion idéologique

Écologisme (moral)

1. Morale identifiant le bien au respect de la nature primitive et le mal à son irrespect.

 

2. L’écologisme est une perversion idéologique de l’écologie, comprise comme science objective du milieu de vie des êtres naturels (animaux et plantes) : alors que l’écologie élabore des jugements de faits et des explications associées, axiologiquement neutres, l’écologisme forme des jugements de valeur et les prescriptions-prohibitions qui en dérivent. La nature, dès lors, n’est plus un ensemble de réalités, mais le fondement d’une morale qui, sous couvert rhétorique de science naturelle, sert à imposer une  « science » nouvelle du bien et du mal, à l’échelle de la vie privée comme à celle de la vie publique (écologisme politique). L’écologisme est donc un naturalisme (morale qui fait de la nature le principe et la fin de la vie bonne), mais spécifique : la nature concernée n’est pas la nature humaine (incluant la civilisation et tous ses artifices), c’est la nature vivante qui précède et transcende l’homme en l’englobant, soit le milieu primitif, non artificiel de la vie humaine, et supposé être à l’origine de toutes choses. Le principe de l’écologisme moral est que la nature ainsi définie est absolument bonne, tandis que toute atteinte à la nature non seulement est mauvaise mais sert de critérium pour juger toute chose. Ce qui revient à identifier le bien à la « naturation » et le mal à la dénaturation, quelle qu’en soit la forme (domestication et agriculture artificieuses, emprisonnement et mise à mort des bêtes, pollution, transformation technique du monde en général, urbanisation et aménagement des territoires, exploitation économique des milieux maritimes, forestiers, géologiques, etc.). Le principal impératif est donc qu’il faut respecter la nature à l’échelle de la Planète (majusculée pour en marquer la valeur suprême en tant qu’identifiée à la Nature) : cesser de la dénaturer d’une part et d’autre part, si elle l’a été, s’efforcer de la  « renaturer ». L’écologisme moral est donc par définition conservateur (protection des espèces, maintien de la diversité biologique, sauvetage et sanctuarisation des milieux « sauvages ») ainsi que réactionnaire (retour à un état antérieur des milieux, du climat, dépollution, réintroduction des espèces animales et végétales en voie de disparition). Ce faisant, l’écologisme fait l’apologie du sauvage contre le civilisé, du vierge contre le transformé, de la cohabitation contre l’exploitation. Il prétend en outre que tout le mal vient des « progrès » indéfinis de l’homme : progrès technique (« arraisonnement » de la nature chez Martin Heidegger), progrès scientifique ou intellectuel (l’homme qui pense étant un animal dégradé – Jean-Jacques Rousseau), progrès démographique (l’écologisme moral est volontiers malthusien), progrès économique (il est aussi plus ou moins ouvertement anticapitaliste). Le principal progrès responsable de la dénaturation coupable (à la fois de la nature humaine primitive et de la nature sauvage) serait le passage de l’état de nature à l’état social (Rousseau encore), ce qui permet de lire l’histoire de l’humanité, du paléolithique à nos jours, comme une décadence (avec pour basculement précoce le néolithique qui marque la transformation de l’homme en modificateur à grande échelle du milieu et la première explosion démographique de l’humanité). Le « sauvage » (d’avant ou d’aujourd’hui) est représenté comme respectueux de la nature et de sa nature (en harmonie avec son milieu comme avec lui-même). Il est donc bon autant que sage, quand le civilisé ne l’est pas, étant donc mauvais autant que fou parce que créateur inconscient (au sens moral et politique) d’un désastre éminent: la destruction de la Planète (la «sixième extinction » doit clôturer « l’anthropocène » comme phase ultime de l’histoire de la Terre) et l’autodestruction de l’humanité (par pollution et bouleversement climatique irréversibles, épuisement des ressources, destruction du milieu naturel conditionnant la survie humaine, etc.). Le respect impliquant l’égalité, l’écologisme moral, débouche nécessairement sur la thèse d’une critique de la supériorité (et même de la différence) de l’homme sur les autres êtres vivants, thèse qui reposerait sur un pur préjugé: tous les vivants (végétaux compris) se valent (antispécisme). Il faut donc ne plus leur porter atteinte mais leur porter soin et secours, considérant que les droits de l’homme leur sont moralement extensibles (déclaration universelle des droits des animaux, défense de leur cause, militantisme contre toute forme de maltraitance animale) en attendant de leur être juridiquement. Parallèlement, l’humanité ne pourrait connaître un véritable progrès qu’en révolutionnant sa conduite pour faire devenir chacun un « écocitoyen » sorti de l’inconscience parce que limitant son impact transformateur sur la nature (baisse voire suppression de la consommation d’énergie fossile, de viande, de transport polluant, d’eau, de tous produits issus de l’animal, etc.), selon un idéal de retour à l’état naturel de l’homme et de son environnement primitif ou premier. La conformité (individuelle ou collective) de la conduite vertueuse à cet idéal est censée être objectivement mesurable grâce à « l’unité carbone », l’unité « pression exercée sur la Terre », « empreinte écologique » ou l’augmentation moyenne de la température mondiale, c’est-à-dire le degré d’altération induit par le moindre des comportements humains : bonne si l’impact est nul, mauvaise s’il est significatif (non nul). La Terre Mère vierge ayant été violée, il convient pour le violeur qu’est l’homme, afin d’assurer son salut physique et moral, d’une part de battre sa coulpe (repentir public et permanent) et d’écouter le catéchisme des nouveaux prophètes de malheur (version écologiste de l’ancienne messe), d’autre part de réparer la virginité perdue autant que possible, en reverdissant le globe et en s’ensauvageant : la vie modèle, outre celle du « primitif » (« sauvage » d’aujourd’hui ou d’hier), est désormais la vie végétale et animale.

 

3. L’écologisme moral de notre temps a pour principal intérêt de présenter au regard étonné du philosophe une toute nouvelle morale, d’une virulence stupéfiante et des plus conquérantes à l’échelle de l’humanité entière. Après la sagesse antique, la morale religieuse, la morale bourgeoise, la morale communiste, voici venu le temps de la morale écologiste. L’idée de faire de la nature le principe du devoir n’est pas nouvelle (le naturalisme est en la matière une option théorique de toujours) : ce qui est nouveau est la conception de la nature par opposition à l’homme, opposition dont est tirée une détermination renouvelée du bien et du mal. En effet, la morale ne se joue plus, dès lors, dans le rapport à autrui, mais dans le rapport à ce qui est étranger à l’humanité : règne minéral, végétal et animal. L’écologisme n’est donc pas une morale intersubjective : elle enjoint le sujet à bien se conduire, non pas envers soi-même, Dieu ou les autres hommes, mais envers les êtres n’ayant pas statut de sujets. Plus précisément, le bon rapport homme-homme est censé être entièrement dérivable du bon rapport homme-nature. Tandis que la morale religieuse fondait le bon rapport homme-homme sur le bon rapport de l’humain au surhumain (Dieu), la nouvelle morale veut le faire dépendre du bon rapport de l’humain au sous-humain (nature originelle). Car c’est dans nos rapports aux bêtes, aux plantes, à la terre, à la mer et au ciel que le Bien et le Mal prennent dorénavant consistance théorique et pratique. Envoyant promener l’humanisme (culte de l’homme comme principe et fin de la vie bonne) autant que le théisme (culte du dieu comme principe et fin de l’homme), le naturalisme écologiste veut faire dépendre la vraie moralité d’un culte rendu à la nature comme principe et fin de l’humanité. Mais étant donné que la nature se définit comme tout ce qui existe sans avoir été altéré par l’homme, il en résulte que l’homme est invité d’une part à cesser d’humaniser indûment la nature, d’autre part à se naturaliser. La non-altération de la nature a pour pendant (et condition sine qua non) une auto-altération. Bien entendu, l’écologisme prétend que la « vraie » nature de l’homme est dans son rapport harmonieux avec la nature, dans son animalité et sa sensibilité primitives enfin retrouvées par-delà la croûte de la civilisation. Il n’empêche qu’il est alors tenu de se nier lui-même dans tous les aspects non naturels de son être et de sa vie. De même qu’on ne pouvait naguère affirmer Dieu qu’en niant une partie de la nature humaine (sa partie « pécheresse »), de même, on ne peut affirmer la Nature qu’en niant ce qui, dans l’humanité, porte à lui manquer de respect : pratiquement, les comportements qui l’aliènent (la rendent autre qu’elle-même) et théoriquement, les pensées qui l’infériorisent (la rendent inégale à nous). C’est pourquoi, sur le premier plan, l’écologisme est une révolution dans les menus gestes de la vie quotidienne mais encore dans les grandes orientations de la vie collective comme dans l’ensemble des pratiques économiques et techniques. De nouveaux interdits frappent les relations de l’homme aux bêtes et aux plantes (négation de la chasse, de l’élevage, du zoo et du cirque, de la culture non « bio », des engrais, de l’énergie atomique, etc.), aux milieux (négation des grands projets inévitablement destructeurs : transports, mines, urbanisation, barrages, etc.) ; parallèlement naissent de nouvelles obligations complémentaires (pitié pour les bêtes, réserves naturelles, reforestation, etc.). Sur le plan théorique, l’offensive consiste à nier toute différence de nature entre humanité et animalité, tout propre de l’homme, toute inégalité entre les vivants, en abolissant l’antique définition de l’homme par l’intelligence et la liberté (lesquelles sont inversement étendues aux bêtes), en prêtant aux vivants non humains une subjectivité et une culture qui impliquent un respect scrupuleux de notre part, l’ancien dissemblable se révélant notre nouveau semblable. Que vaut théoriquement l’écologisme moral ? Pas grand-chose, dans la mesure où l’intense colonisation des esprits qu’il est en passe de réussir est dogmatique, intolérante et conceptuellement naïve. Dogmatique, car c’est un nouveau credo dépourvu de véritables preuves et n’admettant pas le moindre doute (y compris de la part des savants, sommés d’alimenter le catastrophisme des nouveaux prêcheurs de l’apocalypse, sauf à se discréditer eux-mêmes – affaire du « climato-scepticisme » par exemple). Les bénitiers changent, mais les grenouilles restent. Intolérante, car la liberté de pensée, fondée sur le scepticisme faisant défaut au militant écologique de base (et de sommet...), est allègrement piétinée par un harcèlement prosélyte entendant séparer l’humanité en deux : les « sages » (écologistes) et les « fous » (non-écologistes à convertir à l’écologisme, de gré ou de force). Par ses discours mais encore par ses actes (allant jusqu'à la violence rebaptisée « désobéissance civile »), le moraliste à la sauce écologiste entreprend de faire la morale à tous en tâchant de  « modifier les mentalités » – en termes plus clairs, modeler les esprits par voie rhétorique. Conceptuellement naïve enfin, parce que l’anthropologie, l’éthique et la conception de la nature qui sert de soubassement à toute l’entreprise, sont inconsistantes. L’homme ne saurait en effet être lui-même sans se modifier (civilisation, culture) ni modifier la nature, c’est-à-dire l’altérer peu ou prou (technique, travail, économie). Il est l’animal qui nie la nature en lui-même comme hors de lui (Georges Bataille). Il en résulte qu’exiger de lui le respect de la nature (de la sauvagerie externe et interne) n’a pas de sens, d’autant plus que le respect implique l’égalité du respectueux et du respecté, et que le non-pensant ne saurait être l’égal du pensant, sauf égalitarisme loufoque. En outre, la nature n’est justement pas la sauvagerie, laquelle ne désigne que la nature intacte ou vierge, non encore humanisée. Or la nature réelle est humanisée à la fois pratiquement (par les réalisations vitales du milieu humain : la nature sauvage n’est pas humainement viable ; elle est en tant que telle hostile c’est-à-dire mortelle) mais encore théoriquement (par les conceptions de la science, par des religions et les fables des superstitions, par la langue qui nomme toute chose, par les idées qui les conçoivent, etc.). La nature de l’écologisme est donc une nature fantasmée, analogue au mythe du Jardin d’Éden. Enfin, l’amoralité de la nature (qui est étrangère à nos catégories de bien et de mal) aurait dû avertir les idéologues de ce que le rapport de l’homme à la nature ne saurait fonder sans contradiction une morale (ils leur sera difficile d'expliquer aux lions d'être gentils avec les gazelles ou d'ignorer que la prédation est naturelle et amorale), laquelle est un ordre réglant les rapports de l’homme à l’homme seulement.

 

4. Il convient de distinguer l’écologisme anti-humaniste de l’écologisme « humaniste ». Le premier, gros d’une misanthropie larvée, en appelle au respect de la nature pour elle-même, avec pour prix à payer une déshumanisation tendancielle de l’humanité devant renoncer à ses propres : dans l’idéal, il faudrait que la Planète soit débarrassée de l’homme, alors enfin rendue à sa propre pureté. C’est un courant de pensée qui cherche à évacuer l’être humain de l’ordre naturel en le caractérisant majoritairement comme un être nuisible, à bannir de l’ordre naturel en tant qu’empire dans un empire, l’empire du mal. Le second en appelle au respect de la nature en vue de la conservation et du progrès de l’espèce humaine : le bon sens veut qu’on doive éviter de scier la branche sur laquelle on est assis. Le débutant considérera que l’intense militantisme écologiste dont il est l’objet est un prosélytisme dont il doit se prémunir pour liberté de pensée garder. Que les assertions descriptives de l’écologisme soient vraies ou non (le mauvais état supposé de la nature, en péril imminent de destruction par la faute de l’homme), le problème réside dans la validité morale des obligations qu’il prétend en déduire universellement : bien vivre, cela se mesure-t-il aux gestes évitant d’offenser les plantes, les bêtes et la banquise, ou bien aux conduites manifestant les vertus intersubjectives que sont générosité, justice, courage envers ses semblables et soi-même ? La sagesse consiste-t-elle à entreprendre de changer l’ordre du monde dans le sens d’une renaturation générale, ou bien ses propres désirs dans le sens d’un accomplissement de sa propre humanité ? Est-on quelqu’un de bien parce qu’on trie ses déchets et qu’on est végétarien, ou parce qu’on prend soin des autres comme de soi-même ?